En septembre 2006 mourait Oriana Fallaci et fleurissaient dans la presse italienne les hommages et évocations de ses collègues journalistes. Ce moment de réflexivité pour la profession permet de reconstituer, fragment par fragment, le contexte éditorial délétère qui a rendu possible, après le 11-Septembre, la publication de La Rage et l’Orgueil et autres pamphlets racistes de la dernière Fallaci. L’article presente une analyse des fondements de l’essentialisme et du différentialisme des thèses de Fallaci niant la commune humanité (ce qui permettrait de les resituer dans l’histoire des idées), mais aussi une analyse de leur réception : notamment en termes de diffusion des représentations véhiculées et de modes de résonance (ou dissonance) avec celles des lecteurs les plus fidèles. L’article develope aussi une sociologie de la falsification, en prenant comme objet les conditions de possibilité et les modalités d’émergence d’un magistère public explicitement raciste (un « moment Fallaci » concomitant et lié au « moment Berlusconi » dans le champ politique). L’analyse sera prolongée à la lumière de l’importante documentation commémorative qui fut publiée au moment du décès de la journaliste-écrivain. En effet, alors qu’Oriana Fallaci fut toute sa vie durant la gardienne jalouse de sa propre légende, les hommages posthumes auxquels elle eut droit ont révélé – plus ou moins intentionnellement – de nombreux faits inédits et restitué une polyphonie de témoignages particulièrement éclairants sur le fonctionnement de la sphère médiatique italienne. Ce dernier point sera analyse en terme de (a) omerta du champ journalistique; (b) role des témoins directs et relatives problèmes d’élaboration narrative. L’article presente donc l’ébauche d’une théorie de la formation du charisme. Le charisme s’acquiert de trois façons complémentaires : en apparaissant comme le démiurge de son propre succès ; en échappant à la critique, c’est-à-dire en étant celle sur qui il ne peut y avoir pluralité des points de vue (i.e., par définition, en (se) faisant l’objet d’un récit épique) ; et en résistant à la corruption, c’est-à-dire en durant égale à elle-même ou du moins – à la faveur de la condition précédente – en se donnant à voir comme telle : ce qui impliquait formellement de faire apparaître toute prise de position comme un prolongement des précédentes.
Cousin, B., Vitale, T. (2007). Les liaisons dangereuses de l’islamophobie. Retour sur le «moment Fallaci» du champ journalistique italien. LA VIE DES IDÉES, 2007(24), 83-90.
Les liaisons dangereuses de l’islamophobie. Retour sur le «moment Fallaci» du champ journalistique italien
VITALE, TOMMASO
2007
Abstract
En septembre 2006 mourait Oriana Fallaci et fleurissaient dans la presse italienne les hommages et évocations de ses collègues journalistes. Ce moment de réflexivité pour la profession permet de reconstituer, fragment par fragment, le contexte éditorial délétère qui a rendu possible, après le 11-Septembre, la publication de La Rage et l’Orgueil et autres pamphlets racistes de la dernière Fallaci. L’article presente une analyse des fondements de l’essentialisme et du différentialisme des thèses de Fallaci niant la commune humanité (ce qui permettrait de les resituer dans l’histoire des idées), mais aussi une analyse de leur réception : notamment en termes de diffusion des représentations véhiculées et de modes de résonance (ou dissonance) avec celles des lecteurs les plus fidèles. L’article develope aussi une sociologie de la falsification, en prenant comme objet les conditions de possibilité et les modalités d’émergence d’un magistère public explicitement raciste (un « moment Fallaci » concomitant et lié au « moment Berlusconi » dans le champ politique). L’analyse sera prolongée à la lumière de l’importante documentation commémorative qui fut publiée au moment du décès de la journaliste-écrivain. En effet, alors qu’Oriana Fallaci fut toute sa vie durant la gardienne jalouse de sa propre légende, les hommages posthumes auxquels elle eut droit ont révélé – plus ou moins intentionnellement – de nombreux faits inédits et restitué une polyphonie de témoignages particulièrement éclairants sur le fonctionnement de la sphère médiatique italienne. Ce dernier point sera analyse en terme de (a) omerta du champ journalistique; (b) role des témoins directs et relatives problèmes d’élaboration narrative. L’article presente donc l’ébauche d’une théorie de la formation du charisme. Le charisme s’acquiert de trois façons complémentaires : en apparaissant comme le démiurge de son propre succès ; en échappant à la critique, c’est-à-dire en étant celle sur qui il ne peut y avoir pluralité des points de vue (i.e., par définition, en (se) faisant l’objet d’un récit épique) ; et en résistant à la corruption, c’est-à-dire en durant égale à elle-même ou du moins – à la faveur de la condition précédente – en se donnant à voir comme telle : ce qui impliquait formellement de faire apparaître toute prise de position comme un prolongement des précédentes.I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.